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Nouveautés Designers Business & Stratégie Publié le 24 avril 2024

Relocalisation : un nouveau souffle pour la filière de la lingerie française ?

Chantelle et Le Slip Français nous détaillent les initiatives en marche pour relancer le Made in France. Parmi elles, de nouveaux partenariats industriels entre les marques.

  • Chantelle

  • Le Slip Français

La crise sanitaire de 2020 a été l’occasion pour la filière textile française de mettre ses expertises en commun autour de la production de masques. Depuis, des initiatives sont à l’œuvre pour redynamiser l’industrie et inventer de nouveaux systèmes de collaborations entre les marques. Le jeu en valait la chandelle : depuis que Chantelle a ouvert les portes de ses usines, elle a pu offrir son expertise industrielle à plusieurs dizaines de marques. Parmi elles, Le Slip Français, qui travaille à son tour à la fabrication de produits pour différentes enseignes. Un cercle vertueux qui pourrait bien, à terme, pérenniser à nouveau la production française. Décryptage avec Léa Marie, Directrice Générale déléguée du Slip Français, et Dominique Berson, directeur des achats de Chantelle.

La crise sanitaire a ouvert des conversations autour des potentielles collaborations de la filière lingerie française. Racontez-nous comment cela s’est passé.

Léa Marie : À l’époque, le Comité Stratégie de Filière Mode et Luxe a mis en place un groupe de travail, afin de s’organiser pour piloter la fabrication de masques. À ce moment-là, on s’est rendu compte que la filière n’était pas endormie. Elle était certes abimée par la délocalisation, mais on a été capable de produire 20 millions de masques !

Dominique Berson : Une synergie s’est créée. On est passé d’un modèle « pour vivre heureux, vivons cachés », où rien ne se partageait, à un formidable mouvement collectif qui a posé les bases d’un développement business Made in France.


Quelles réflexions ont spécifiquement émergées, chez Chantelle et chez Le Slip Français ?

Dominique Berson : Chez Chantelle, on s’est rendu compte qu’en tant qu’industriels, on avait une réponse à apporter aux challenges de marques à plus petite échelle. Nous qui n’étions pas habitués à collaborer, nous avons appris à mettre notre expertise à leur service. Par la suite, notre directeur général a choisi de leur ouvrir notre site d’Épernay. Depuis 2020 plus de 160 marques nous ont consulté, et 60 nous ont confié leur développement et leur production, y compris Le Slip Français.

Léa Marie : La santé du Slip Français dépend totalement de son écosystème industriel. Il a donc fallu trouver des méthodes de travail pour pouvoir embarquer toute la chaine, avec une réelle transparence.

Cette notion de transparence est aujourd’hui au cœur des réflexions de l’industrie.

Dominique Berson : C’est un élément clé, d’autant plus nécessaire dans un environnement textile mondiale avec des pratiques très variées. Ça devient un vrai levier pour pouvoir développer des produits ensemble. De plus, il y a aujourd’hui un réel enjeu à promouvoir et à susciter l’intérêt pour les différents métiers de notre chaine de valeur. Il faut s’intéresser à ceux qui coupent, qui assemblent, qui tricotent, qui teignent… sans qui on ne peut pas mettre à l’œuvre nos produits.

Léa Marie : Le textile est un métier de passion. Après le grand mouvement de délocalisation des années 2000, on a aujourd’hui l’occasion de reconstruire cette industrie, et il faut le faire correctement !

En quoi consiste, concrètement, le fait de travailler en transparence les uns avec les autres ?

Léa Marie : Concrètement, il s’agit de réunir 40 personnes autour d’une table pour parler de leurs attentes, des leurs projets et de leurs difficultés, et s’apporter des solutions mutuelles. Lorsque nous avons commencé à travailler avec Chantelle, j’ai rencontré des équipes qui connaissaient parfaitement leurs métiers et leurs gammes de montage, et qui m’y ont donné accès. Ça parait très simple, mais ces pratiques sont habituellement considérées comme intrusives, elles ne se partagent pas. Les équipes se sont montrées très ouvertes et nous ont permis de mieux comprendre chaque étape de fabrication, pour mieux identifier celles qui ajoutaient des couts, les ajuster et confier, à terme, beaucoup plus de commandes à Chantelle.

Dominique Berson
: Bien sûr, on ne saura jamais produire aux mêmes rythmes que ceux d’autres régions du monde, mais on trouve des solutions en travaillant ensemble, pour optimiser notre organisation industrielle et être plus compétitifs.

Léa Marie : Avec Chantelle, nous avons aujourd’hui le même niveau de service que nous aurions en Asie !

Il y a aussi un important enjeu de sauvegarde des savoir-faire français.

Dominique Berson : C’est un combat que nous menons et que nous prenons très au sérieux. Nous avons besoin d’attirer des jeunes profils pour continuer de faire vivre la filière. J’ai appris mon métier en BEP, c’est ce qui m’a permis de parler aujourd’hui le même langage que nos fabricants ! Il faut continuer à transmettre ces savoirs.


Cela demande un réel engagement de la part des différents acteurs de la filière. Sont-ils prêts ?

Dominique Berson : Pour Chantelle, cela va de soi, car nous étions d’abord des fabricants de maille et des tisseurs. Cet ADN est resté lorsque l’entreprise a évolué dans la confection et la distribution, notre engagement se traduit donc dans des méthodes de travail précautionneuses et respectueuses des métiers. Nous mettons aujourd’hui des laboratoires à disposition des marques avec lesquelles nous travaillons, qui leur permettent de réaliser des tests de mécanique, d’élasticité, de coloris… Cette vigilance est un atout qui pousse à l’engagement, puisqu’elle contribue à la qualité finale des produits.

Comment embarquer les consommateurs dans cette aventure ?

Léa Marie : Nos clients sont déjà engagés pour le Made in France, mais cela ne leur suffit plus. La RSE doit s’appliquer au global, de même que le recyclage et toutes les pratiques plus vertueuses auxquelles les consommateurs sont attentifs. Si on leur propose des sous-vêtements à 40 euros, mais qu’on garantit leur durée de vie, ça marche. D’où l’importance de communiquer entre partenaires, dès la fabrication, pour mieux identifier les points à améliorer. Par ailleurs, plus les différents acteurs acceptent de rejoindre l’aventure, et de jouer le jeu des volumes de commande, plus les prix baisseront. Eminence nous a récemment fait confiance sur la production de 50 000 pièces et ça a marché, elles se sont vendues en trois semaines.

Dominique Berson : Il faut désormais développer les bons outils pour être compétitifs à l’export, qui représente 60% du chiffre de Chantelle. Être capable de promouvoir notre savoir-faire est un avantage, qui pousse les consommateurs à accepter le juste prix. Il faut savoir trouver le bon équilibre vis-à-vis de l’économie mondiale, et faire comprendre à nos partenaires étrangers que le succès du made in France est possible, à condition de faire preuve d’honnêteté et de transparence.