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Tendances Publié le 11 mars 2024

Lingerie : 60 ans de révolutions

Du wonderbra au body-positive en passant par le porno chic, retour sur six décennies d’histoire de la lingerie.

Simone Pérèle, 1964

Retracer l’histoire de la lingerie, c’est se retourner sur des décennies de matières, de formes et de discours, qui accompagnent l’évolution des femmes et des mentalités. Révolution sexuelle, émancipation politique, accès au sport… autant de micro-révolutions qui ont transformé le quotidien des femmes jusque dans leur intimité et qui, à travers le produit comme à travers l’image, racontent les différentes époques, les retours en arrière parfois, mais surtout les bonds en avant.

Années 60 : libérez la poitrine

Simone Pérèle, 1965

C’est la première grande révolution du secteur, depuis la disparition du corset. Alors qu’émerge un mouvement de lutte pour l’acquisition des libertés fondamentales des femmes, les années 60 marquent l’arrivée de la souplesse et du confort. Dans la mode déjà, Paco Rabanne et Courrèges libèrent le corps et simplifient les lignes, alors exit les années 50 et leurs carcans contraignants. La lingerie épaisse et rigide des décennies passées laisse place au soutien-gorge fonctionnel, à grand renfort d’élasthanne et de pinces soleil, qui maintiennent la poitrine en simplifiant les armatures. Si elle n’est pas encore tout à fait vue sous un prisme politique, la lingerie témoigne d’un certain désir de liberté, porté par mai 68 et par le summer of love. C’est l’émergence du wonderbra et du monokini, et les prémices du mouvement no-bra – la lingerie se porte désormais sans compromis : c’est le confort, la liberté ou rien.

Années 70 : l’ère du fonctionnel

Chantelle, 1975
Simone Pérèle, 1977

Au confort s’ajoute désormais un besoin de maintien et un désir de simplicité. À l’innocence des sixties succèdent les prémices des combats environnementaux et des vagues de protestations politiques mondiales, une autre femme émerge, engagée, en mouvement. Elle demande de la fonctionnalité, non sans un certain sens du style : dans la mode, c’est la décennie qui posera les bases d’un style chic et décontracté, du denim et des blouses bohèmes, des tailles bases et des tops en polyester. Chez Chantelle, c’est l’arrivée des soutien-gorges moulés adaptés à toutes les poitrines, et des slogans publicitaires pragmatiques et efficaces : « Gagnez en souplesse sans perdre en maintien ». Et au fil des années, ce sont déjà les grands changements à venir qui émergent : aux campagnes sobres du début de la décennie succèdent des images de femmes photographiées sur fond rouge dans des postures conquérantes : les années 80 arrivent.

Années 80 : toujours plus de pouvoir

Simone Pérèle, 1987

C’est la décennie de la working girl, de la power-silhouette, de Madonna en corset Jean Paul Gaultier. La lingerie devient un outil de séduction, maximaliste et provocante. Chantal Thomass fait défiler des sous-vêtements couture sur les podiums, où s’affichent guêpières, push-ups et balconnets, Simone Pérèle fait poser ses mannequins au téléphone, dans des poses lascives. La lingerie est à la fois quotidienne et sensationnelle, accompagne les femmes en marche vers le pouvoir. Les tailles sont marquées, les épaules puissantes à la Mugler et Montana, les hanches se relèvent et transforment la courbe des jambes. Des décennies plus tard, on voit encore sur les podiums l’influence de cette silhouette conquérante et décomplexée, popularisée par les super models qui, de Cindy Crawford à Linda Evangelista, transforment à jamais l’image de la femme, aussi indépendante que séduisante.

Années 90 : l’ère de toutes les contradictions

Aubade, 1992

C’est la décennie où tout se mêle, de la sexualisation à la sobriété. Au « Regardez-moi dans les yeux » de Wonderbra, devenu un monument du patrimoine publicitaire français, succèdent les campagnes Calvin Klein, qui respirent le sexe mais aussi le confort et la simplicité de sous-vêtements qui n’ont besoin que d’un logo pour exister. En 1992, Aubade lance ses « Leçons de séduction », des publicités osées qui zooment sur les poitrines et sur les fesses, où la lingerie s’assume comme un outil provocateur qui s’adresse d’abord au regard des hommes. Chez Chantelle, elle devient un objet quotidien comme un autre, photographiée en nature morte au milieu d’objets de pouvoir tels qu’un bâton de rouge à lèvres ou une chemise d’homme. Petite révolution textile, l’avènement de la microfibre annonce les prémices d’une lingerie qui se met au service du corps, légère et enveloppante…

Années 2000 : toujours plus de sexe

Passionata x David LaChapelle, 2008

… Mais nous sommes encore loin du body-positive. Aux années 90 succède l’ère du porno-chic et du toujours plus trash, porté par une pop-culture américaine en pleine explosion outre-Atlantique. C’est l’ère des enfants star hyper-sexualisées, de la télé-réalité, de Tom Ford et Mario Testino, des campagnes Passionata de David Lachapelle tout en rose flashy et cheval de glace. Le sexe fait vendre et la lingerie, maximaliste, se met au service d’un idéal physique incarné par les anges de Victoria’s Secret. En parallèle émerge un discret contrepied qui annonce déjà les prémices des années 2020 : sur les campagnes Simone Pérèle, les femmes posent tout habillées, dans un pari audacieux de vendre la lingerie sans la montrer. Tout est dans l’image qu’elles incarnent : sportives, artistes, tout sauf mannequins, sont photographiées dans leur quotidien, tout est dans la posture de femmes « normales » qui se sentent bien dans leur environnement, et laissent deviner une relation saine à la lingerie.

Années 2020 :  l’ère post-MeToo

Simone Pérèle, 2021

À la toute fin des années 2010, l’émergence du mouvement MeToo enterre pour de bon l’image d’une femme qui ne vivrait qu’au service du regard masculin. La lingerie porte de nouveau les enjeux sociétaux majeurs de son temps, avec en tête de file la représentation de tous les corps sans forme de hiérarchie. Diversité et inclusivité deviennent les maîtres mots des campagnes de marketing qui montrent désormais des femmes de tous âges, de toutes corpulences et de toutes couleurs de peaux. Les marques digital-natives s’inscrivent à l’équilibre entre une lingerie aux airs romantiques et des coupes confortables et pragmatiques, qui osent jouer les matières et les associations de couleur. Des dentelles aux graphismes contemporains aux matériaux ultra-techniques du shapewear dédiés aux nouvelles pratiques sportives, la lingerie accompagne les formes et les soutient, les sublime sans tenter de les transformer. Qu’on les porte dessus ou dessous, les sous-vêtements se portent avec fierté mais se pensent désormais avec humilité,  pour accompagner des corps pluriels et en mouvement.