Traçabilité en 2024 : quelles solutions pour la filière de la lingerie ?
Les consommateurs n’ont pas attendu la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) pour exiger des marques une meilleure transparence quant à la provenance de leurs vêtements. Depuis 2023, cette loi a gravé dans la pierre une volonté de traçabilité qui bouscule les filières de la mode et de la lingerie, et transforme peu à peu toute la chaîne de valeur. Une réflexion amenée à repenser, mais aussi à renforcer, les relations qui lient les marques aux fournisseurs.
Comment, alors, fluidifier le processus de traçabilité ? Pour Sterenn Lerède, responsable développement durable et RSE de la Fédération de la Maille, de la Lingerie et du Balnéaire, il s’agit d’abord d’identifier les principaux freins que rencontrent les fournisseurs, pour imaginer ensemble des solutions efficaces et pérennes. « C’est un vrai défi, dans une chaîne mondiale aussi fragmentée. Ce qui change par rapport au passé, c’est que les données qui doivent être transmises vont jusqu’à l’origine des fibres. Cela change les relations commerciales et les rapports de force entre marques et fournisseurs. »
Une meilleure communication
Le premier grand défi pour les marques et les groupes français : engager la conversation avec leurs fournisseurs internationaux. « En tant qu’industriel, il faut savoir comprendre qui est responsable de quoi, vis-à-vis de quelle loi. » poursuit Sterenn Lerède. Le groupe Wolf Lingerie a désormais une personne dédiée à échanger quotidiennement avec ses fournisseurs, pour les familiariser avec les nouvelles réglementations et mettre en place, ensemble, des systèmes efficaces pour récupérer les données. « C’est un travail d’engagement auprès des fournisseurs, affirme Isabelle Roger, directrice RSE du groupe. Il faut d’abord leur expliquer pourquoi on leur demande ces informations, mais aussi les rassurer sur ce que l’on va en faire. »
« En tant que fournisseur, on subit un peu, parce que la recherche d’informations n’est pas encore assez organisée, affirme Emmanuelle Bonnetin, PDG de Rocle by Isabella. On remplit des tableaux Excel, on répond à des sociétés mandatées par nos clients avec chacune un processus différent, tout ça est très chronophage. Par ailleurs les demandes ne sont pas toujours cohérentes, il y a une vraie méconnaissance de nos métiers et du degré auquel nous pouvons fournir certaines informations ». A court terme, l’enjeu est d’abord celui d’une communication plus fluide entre les différents partis.
Gouvernance et standardisation
Comment, alors, manipuler ces données pour les articuler, s’assurer qu’elles soient lisibles et communicables ? « Il faudrait imaginer une plateforme dédiée, dont tout le monde pourrait se servir, où les informations pourraient n’être rentrées qu’une fois et communiquées à qui en a besoin. » poursuit Emmanuelle Bonnetin. Selon elle, cela permettrait aussi d’embarquer plus facilement les fournisseurs de rang 2 dans le processus de traçabilité.
Sterenn Lerède l’affirme, la gouvernance est également un l’un des points clés pour l’avenir. À qui appartiennent les données ? Comment en garantir à la fois l’usage et la confidentialité, sans que les autres parties prenantes puissent les utiliser à notre insu ? Pour Stéphane Popescu, consultant mode durable et co-fondateur de Cose361, il s’agit d’abord de contractualiser le partage des informations. « La traçabilité doit être intégrée dans les partenariats. Il faut se mettre d’accord, dès le départ, sur le partage d’un certain nombre d’informations, et sur la façon dont les prestataires utiliseront les données. » Emmanuelle Bonnetin confirme. « Nous avons toujours été transparents avec nos clients. L’objectif à présent, c’est de mettre à l’écrit ce qu’on se dit à l’oral. » Et ainsi de créer un cadre réglementé dans lequel entreprises et fournisseurs pourront communiquer sans crainte.
Au-delà d’un travail de pédagogie entre marques et fournisseurs, il s’agit d’un véritable enjeu technique et opérationnel : mettre au point des outils pertinents de référencement des données, afin que les informations sur la provenance d’un fil ou d’une matière puissent n’être rentrées qu’une fois, modifiées si besoin, et être aisément partagées. Une nécessité se fait alors de plus en plus claire : celle d’imaginer un langage commun. Alors que chaque entreprise possède ses propres données et sa propre façon de les communiquer, il apparaît urgent de standardiser à la fois leur rédaction et leur partage, pour fédérer toute la chaîne de valeur et peut-être, à terme, créer de nouvelles passerelles entre marques et fournisseurs.
Au sein du groupe Wolf Lingerie, les données des fournisseurs de rang 1 et 2 sont désormais publiées sur un site. « Cela permet aussi aux marques de voir quels fournisseurs elles ont en commun, et même d’imaginer d’éventuelles collaborations » affirme Isabelle Roger. Un cercle vertueux qui commence à peine à être tracé, mais qui pourrait bien fédérer un peu plus la filière entière dans les années à venir. Et, à terme, faire émerger de nouvelles possibilités créatives.